Bien souvent méconnu, l’oracle Chainlink (LINK) est pourtant l’un des rouages essentiels de la finance décentralisée. Car il sécurise actuellement 235 protocoles DeFi, pour une “valeur totale sécurisée” supérieure à 9 milliards de dollars, soit 46% de la valeur sécurisée par des oracles selon les données compilées par DeFiLlama.
Les oracles blockchain : ces projets méconnus et pourtant si essentiels
Avant de parler de Chainlink (LINK) et de son année 2022 exceptionnelle, commençons par revenir sur le caractère essentiel, pour ne pas dire fondamental, des oracles pour l’écosystème crypto. Dans la Grèce antique, l’oracle était la réponse donnée par une divinité à une question sur l’avenir, posée par une prêtresse. Par extension et déformation, c’est ensuite à l’intermédiaire humain, voire le lieu sacré, que le nom d’oracle a été attribué.
Un “oracle de blockchain” n’en est pas si éloigné dans sa conception. Aujourd’hui une application blockchain n’a conscience que d’elle-même. Si l’on veut y intégrer une data extérieure, le protocole informatique ne sait pas le faire tout seul. Les oracles sont une solution à ce problème : ils “transportent” des données issues du monde réel et les poussent ensuite dans le smart contract.
Pour les développeurs d’applications sur la blockchain, les oracles sont donc essentiels. En code blockchain, on parle plutôt de “réseaux d’oracles décentralisés” (DON – Decentralized Oracle Networks”). Imaginez que vous mettiez en place votre propre stablecoin adossé au Bitcoin (BTC), celui-ci aura besoin de savoir à tout moment le cours du BTC sur CoinMarketCap, ou directement issu des plateformes Binance et Coinbase.
Imaginez un contrat de lending avec une garantie en Ether (ETH), il sera extrêmement important de surveiller, seconde par seconde, le cours de l’ETH pour liquider à temps le collatéral en cas de chute brusque des marchés.
Chainlink, leader incontesté du marché
Chainlink sécurise actuellement 235 protocoles DeFi, si l’on en croit les données on-chain en temps réel du portail DefiLlama. Combinées, ces 183 applications forment une “valeur totale sécurisée” (TVS) supérieure à 9 milliards de dollars. Cela représente 46% du marché de la DeFi. On peut le dire autrement : près de la moitié des protocoles DeFi s’approvisionnent en données auprès des oracles de Chainlink.
Mais qui sont ses principaux concurrents ? Il y en a actuellement trois :
- Maker (6 milliards sécurisés), qui fournit essentiellement des données au protocole MakerDAO, l’un des fers de lance de la DeFi sur Ethereum, à qui on doit le stablecoin DAI notamment – et au protocole KEEP Network, sorte de pont entre blockchains privées et les blockchains publiques telles que nous les connaissons.
- WINkLink (3,6 milliards sécurisés), principal oracle de la blockchain Tron, pour les protocoles JustLend et JustStables notamment.
- Band Protocol (273 millions sécurisés)
Comment fonctionne Chainlink ?
Chainlink est un réseau d’oracles. Prenons l’exemple de la paire ETH/USDT qui se négocie sur Binance et une vingtaine d’autres plateformes d’échange. Chainlink se connecte à ces plateformes, les interroge puis calcule un prix médian. Il se charge ensuite de “pousser” ce prix sur les différentes blockchains clientes : Ethereum, Cardano, Polygon, etc. Ces données de cours sont mises à jour toutes les secondes.
Parmi les fournisseurs de données (les “oracles”) qui gèrent des nœuds du réseau d’oracles Chainlink, on retrouve des acteurs traditionnels bien connus. Citons le groupe de télécom allemand Deutsche Telekom, ou la compagnie suisse Swisscom. Citons également l’agence de presse Associated Press et le service météo AccuWeather. A côté de ces noms bien connus, on trouve quantité de fournisseurs d’infrastructure de réseaux, de solutions de staking ou de fonds de venture capital.
Tous ces acteurs sont récompensés en jetons LINK. Un système de récompense / sanction est en place, pour sanctionner les prix incorrects.
Mais la particularité de Chainlink réside aussi dans un protocole d’interopérabilité baptisé CCIP. Chainlink Labs a en effet mis au point le CCIP (pour Cross-Chain Interoperability Protocol) pour permettre aux blockchains de s’envoyer des messages entre elles. En clair, les blockchains sont en mesure non seulement de recevoir de la data extérieure, mais aussi de la data propre à l’écosystème.
En s’associant avec Swift, Chainlink pourrait changer le monde
L’alliance entre les deux bords est passée relativement inaperçue et pourtant. Vous connaissez sûrement SWIFT, la société belge qui gère le service d’échanges de données au cœur du marché interbancaire mondial. La Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication connecte 11 000 banques du monde entier, d’où le nom de “virement SWIFT” que l’on donne aux virements entre banques correspondantes d’un pays à un autre.
Swift et Chainlink vont travailler de concert sur une “preuve de concept”. La finalité de ce système est de permettre à Swift d’envoyer des messages sur différentes blockchains connectées à Chainlink. Ainsi on peut penser à une banque ordonnant un transfert de fonds en crypto-monnaies.
Très concrètement, cela permettrait de transférer des actifs d’Ethereum à Cardano sans avoir à passer par les fameux “bridges”. En effet, ceux-ci ont connu une actualité tristement chargée en 2022, marquée par des dizaines de hacks pour un préjudice dépassant désormais les 2 milliards d’euros.
Ainsi le modeste projet new-yorkais fondé en 2017 par Sergey Nazarov, Steve Ellis et le professeur de l’université Cornell Ari Juels pourrait être au cœur d’une véritable révolution financière en 2023 !
Chainlink est connecté à un nombre toujours croissant de blockchains et de solutions de seconde couche
Après avoir conquis de nombreuses blockchains de “layer 1” (Ethereum, Polyon, Solana, Cardano, Binance Smart Chain) durant la deuxième moitié de 2021, Chainlink s’est attaqué à de nombreux réseaux de “layer 2” en 2022.
Les deux plus importants ont été Arbitrum et Optimism, deux célèbres solutions de seconde couche du réseau Ethereum. Le déploiement des oracles sur Optimism a été annoncé le 1er septembre dernier, après d’importantes demandes de la part de sa communauté de développeurs.
Désormais, tous les protocoles financiers construits sur Optimism accèdent aux données du Chainlink Price Feed. Il s’agit d’un outil permettant de récupérer en temps réel les cours de divers types d’actifs : cryptomonnaies, stablecoins, indices boursiers, matières premières, devises et parités de devises, etc.
Du côté des blockchains de “layer 1”, Chainlink s’est étendu au réseau Avalanche. Citons également les réseaux Fantom, Gnosis Chain, Harmony et Metis.
Malgré le développement de Chainlink, le jeton LINK toujours gelé par l’hiver crypto
Comme l’ensemble des altcoins, le LINK n’a pas échappé à la puissante dynamique baissière de 2022 malgré des voyants au vert sur ses fondamentaux. Il navigue actuellement près des 6 dollars depuis plusieurs semaines, bien loin de ses plus hauts au-dessus de 50 dollars atteints en mai 2021.
Le principal niveau-clé à surveiller est une zone pivot allant de 7,30 à 7,80 dollars. Cette zone de prix correspond à un niveau où le LINK peut se faire rejeter vers le bas ou, au contraire, continuer sa hausse et briser cette longue phase de latéralisation.
Pour l’heure, comme pour l’ensemble du marché, le biais semble clairement baissier. Sur une échelle de temps journalière, le cours du LINK continue à inscrire lentement des sommets descendants. Il ne paraît pas encore intéressant de penser que le jeton a enfin inscrit un creux.
En 2023, plusieurs problèmes à résoudre
En 2022, Chainlink a eu droit à quelques polémiques sur son niveau de sécurité. Car plusieurs analystes ont pointé du doigt la présence d’une clé “centralisée” sur l’ensemble des services de Chainlink. Qu’est-ce que cela signifie ? Il faut savoir que l’ensemble du réseau Chainlink est administré par une clé baptisée “multisig 3/20”. Cela signifie qu’il faut plusieurs signatures numériques (d’où le “Multisig”) pour autoriser des transactions au nom d’un groupe.
Pour Chainlink, il suffirait théoriquement que 3 des personnes détenant l’une des 20 clés tombent d’accord et manipulent les prix poussés sur les blockchains. De quoi compromettre durablement tout un pan de l’écosystème DeFi. Mais le véritable danger vient certainement de la vulnérabilité de ces clés à un piratage informatique. Chainlink a tenu à rassurer ses clients en annonçant plusieurs changements majeurs apportés à son système de validation.
Le deuxième problème que l’écosystème reproche à Chainlink est sa centralisation. Plusieurs difficultés sont apparues : le coût (quelques centimes payés à Chainlink à chaque requête, accumulés au fil du temps), la fiabilité des données elles-mêmes outre les risques de pannes techniques.
Des oracles concurrents tels que API3 essaient de résoudre ces problèmes en créant un lien direct vers les fournisseurs de données réels. Cette communication directe permet de se débarrasser d’un intermédiaire jugé trop centralisateur. En clair, plutôt que de maintenir des nœuds entre une application telle que PancakeSwap et les fournisseurs de données (Binance par exemple), il y a mieux à faire : donner la possibilité aux fournisseurs d’être eux-mêmes des nœuds !
Ainsi API3 propose aux fournisseurs de données de gérer un noeud avec le logiciel Airnode. Open source, libre et facile à comprendre, il permet à une bourse, une banque, une agence de notation d’exécuter elle-même un nœud, puis de commencer à fournir directement des données à qui le souhaite. Elle sera ensuite rémunérée en tokens API3.
Tout l’enjeu de Chainlink, pour 2023, sera d’éviter d’éviter le “single point of failure”. Il serait dommage d’avoir une blockchain résiliente, sécurisée et décentralisée mais un système d’oracle manipulable. Si Chainlink alimente de nombreux protocoles de finance décentralisée (à l’image de Aave, Compound, et dYdX) avec des données erronées ou manipulées, ce seraient ainsi des milliers d’investisseurs qui verraient leurs positions liquidées à tort.