Un raccourci inquiétant. Dans le document-clé de sa plainte contre un influenceur auprès d’une cour texane, la Securities and Exchange Commission (SEC) affirme que les transactions en ETH relèvent automatiquement de la juridiction des autorités américaines. Son principal argument : la majorité des nœuds du réseau Ethereum sont localisés sur le sol US.
SEC vs Ian Balina : un procès ordinaire contre une ICO ordinaire
A priori, le procès qui oppose la SEC à Ian Balina n’a rien de particulier.
Youtubeur actif, Balina est devenu célèbre au plus fort de l’ICO-mania de 2017-2018. Sur sa chaîne YouTube, il a fait la promotion de plusieurs projets en prévente – dont le SPRK. Un jeton pour lequel il a réuni un pool d’investissement via Telegram en 2018.
Rattrapé par la patrouille, Balina s’est exprimé sur Twitter en indiquant que les « charges fantaisistes » du régulateur créeraient un « précédent néfaste pour le capital-risque soutenant l’industrie crypto » – qualifiant son implication dans le SPRK d’ « investissement à décote ».
Excited to take this fight public.
This frivolous SEC charge sets a bad precedent for the entire crypto industry.
If investing in a private sale with a discount is a crime, the entire crypto VC space is in trouble.
Turned down settlement so they have to prove themselves. 💯 pic.twitter.com/lVaqnnsLgT
— Ian Balina (@DiaryofaMadeMan) September 19, 2022
Sauf que la SEC ne le voit pas de cet œil. En cachant son lien avec le projet, Balina aurait enfreint la loi sur les valeurs mobilières. Dans le document (voir image ci-dessous), on apprend d’ailleurs que l’ICO du SPRK a réussi à lever 30 millions de dollars auprès de 4000 investisseurs. Et que Balina, via les fonds levés sur son pool Telegram, était intéressé à hauteur de 30% …
Ethereum : un réseau « américain » pour la SEC
Là où le document de plainte de la SEC devient intéressant, c’est à la page 16 :
Pas faux : la majorité des nœuds d’Ethereum sont effectivement localisés aux Etats-Unis. Sur 7819 nœuds, 3340 sont localisés sur le sol américain, soit 42,56%.« Les investisseurs américains du pool de Balina se sont irrévocablement engagés dans la transaction lorsque, depuis les États-Unis, ils ont envoyé leurs contributions en ETH à ce pool. Par ailleurs, leurs contributions en ETH ont été validées par un réseau de nœuds sur la blockchain Ethereum, qui est concentré plus densément aux États-Unis que dans tout autre pays. En conséquence, ces transactions ont eu lieu aux États-Unis. »
Pas totalement vrai non plus : les nœuds de blockchains en preuve d’enjeu (PoS) sont souvent hébergés sur le cloud, par des services tels que Google Cloud, Amazon Web Services ou Microsoft Azure. Un opérateur physiquement situé à Lyon ou à Paris a tout le loisir de virtualiser son installation, de sorte qu’il sera localisé aux Etats-Unis.
L’absence de statistiques sur les nœuds rend toute contre-argumentation impossible. Néanmoins, il ne faut pas non plus sortir l’information de son contexte, à savoir un argumentaire juridique dans le cadre d’un litige régulateur – opérateur.
Après The Merge, un changement de nature pour Ethereum ?
Jusqu’ici Ethereum et Bitcoin n’étaient pas inquiétés, la SEC considérant les ETH comme des jetons utilitaires (« utility tokens ») et les BTC comme de véritables marchandises (« commodities »).
Des distinctions à géométrie variable, conduisant notamment à un procès contre le projet Ripple (XRP), qualifié de crypto-valeur mobilière (« security token ») dans une affaire judiciaire-fleuve qui dure depuis novembre 2020.
Si l’extrait inquiète, c’est aussi parce qu’il fait suite aux propos récents du président de la SEC, Gary Gensler, sur les cryptomonnaies et le staking.
Dans une interview au Wall Street Journal, Gensler a déclaré que les cryptomonnaies et les intermédiaires offrant à leurs détenteurs du staking seraient susceptibles d’être requalifiés en contrats d’investissement sur valeurs mobilières (« securities »). En clair, des instruments sous le contrôle de la SEC.
Sans que le discours cible une cryptomonnaie en particulier, il reste néanmoins difficile de ne pas y voir un danger pour l’ensemble des cryptomonnaies en preuve d’enjeu, à commencer par l’Ethereum post-The Merge.
Il faut aussi y voir une tentative de rapprochement du staking avec les principes de lending. Rappelons que les plateformes de lending ont l’obligation de s’enregistrer auprès de la SEC. Nous vous rapportions en février dernier que la plateforme BlockFi avait été condamnée à régler une amende de 100 millions de dollars pour avoir omis de le faire.
Security ou utility, Ethereum joue ces derniers jours à se faire peur après sa fusion réussie. Le support des 1200 dollars est en vue pour l’ETH, alimentant de nouveau les risques de liquidation sur diverses plateformes DeFi (MakerDAO). L’ETHW quant à lui, le jeton de la faction rivale ETHPoW, a gagné 35% en 24h.