Pendant Surfin’ Bitcoin, l’économiste Jean-Marc Daniel a bien voulu nous accorder une interview afin de partager ses vues sur Bitcoin. Pour lui, l’or digital ne représente ni une alternative plausible ni une solution aux problèmes actuels.
La blockchain, vraiment aussi fiable qu’on le pense ?
Jean-Marc Daniel, économiste keynésien et ex-chroniqueur pour Le Monde, a bien voulu discuter avec l’équipe de Cryptonaute au sujet de Bitcoin, des cryptos et des technologies liées à la blockchain.
Alors que Surfin’ Bitcoin se concentre évidemment sur le BTC et ses progrès, l’homme émet quelques réserves quant aux garanties apportées par les technologies blockchain :
« [La blockchain] est supposée garantir une sécurité absolue de l’ensemble des transactions qui va être opérée. L’idée qui est derrière, c’est d’essayer de substituer à la garantie qu’apporte l’état sur les monnaies. La question que l’on peut se poser c’est, est-ce qu’on a une pleine maîtrise technique qui permet d’être aussi sûr de soi ? Sachant que normalement, la maîtrise juridique, elle, elle est là. C’est-à-dire que la loi s’applique. »
Ainsi, Jean-Marc Daniel remet en question la notion de sécurité sur la blockchain, mais aussi son immuabilité. Afin d’expliquer son argument, il reprend l’histoire de l’Iliade et de l’Odyssée :
« Dans l’Iliade et l’Odyssée, on croyait que les soldats ne rentreraient jamais, parce qu’on avait la plus forte défense. Finalement, ils ont mis 10 ans, mais les soldats ont fini par rentrer dans la ville. Il y a une sorte de naïveté et quelque chose d’inquiétant. »
La quantité déflationniste de Bitcoin
Bitcoin propose un modèle bien précis. Au total, un nombre limité de 21 millions de BTC seront émis. Pas un de plus, pas un de moins. Cela permet, en théorie, de garantir un apport fini et d’éviter les sociétés actuelles où il est tout simplement possible d’imprimer des billets à partir de rien, diminuant ainsi la valeur des monnaies.
« La quantité de Bitcoin est potentiellement déflationniste, c’est-à-dire que si cette limitation de la quantité est directement liée à l’activité économique, vous pouvez considérer que vous allez finir par en avoir assez. Mais par rapport à la quantité de richesse qui s’est créée, vous n’aurez pas forcément assez de monnaie par rapport à la quantité de richesse », explique Jean-Marc Daniel. « Progressivement, les prix se mettent à baisser. Il y a donc une interrogation économique sur jusqu’où on peut accepter, est-ce que c’est une bonne chose que les prix baissent, et si oui, n’y a-t-il pas un moment où ça s’inverse ? Je pense que la déflation en soi, ce n’est pas un mal, mais le XIXe siècle a montré que lorsqu’elle est systématique, elle finit par brider la dynamique. »
Bitcoin, pas une vraie monnaie ?
Le nombre de wallets Bitcoin est en hausse, certes. L’adoption gagne du terrain de manière évidente. Le nombre d’enseignes et de sites internet qui acceptent le BTC comme moyen de paiement tend à augmenter drastiquement, et le nombre de participants aux conférences est en pleine explosion.
Pour autant, et bien malgré ces nombreux indicateurs, l’économiste n’y croit pas vraiment :
« La technologie [Bitcoin] en tant que telle prétend s’appliquer à de la création de monnaie, alors que les gens qui l’utilisent plutôt pour la spéculation. C’est une vraie problématique, en ce moment, car Bitcoin a été créé comme une monnaie de pair à pair avec la possibilité de l’utiliser pour acheter des biens. »
Bitcoin s’est-il écarté de son but premier ?
Jean-Marc Daniel pense effectivement que, bien malgré les promesses de Bitcoin, l’or digital s’est écarté de son objectif initial. Comme il l’explique, l’objectif initial était de contourner les défaillances du système monétaire.
« Bitcoin est parti d’une logique qui aurait pu tenir la route, mais en fin de compte, on s’est tellement écarté de l’objectif que maintenant, Bitcoin reste préférable pour le trading », déclare l’économiste.
Jean-Marc Daniel ajoute également, non sans humour, que la logique derrière Bitcoin, notamment en termes d’énergie, est une logique d’« écornifleur climaticide ».
Quid des banques centrales ?
Jean-Marc Daniel semble donc être fermement inscrit face à Bitcoin. Pourtant, il partage certaines valeurs en commun avec les bitcoiners et la plupart des usagers de crypto-monnaies, à commencer par son rapport avec les banques centrales.
Afin d’y voir plus clair, il explique pourquoi, selon lui, la banque central et l’État sont responsables des problèmes économiques actuels :
« Imprimer les billets, c’est effectivement une mission qu’on donne aux banques centrales. C’est à elles de déterminer quelle est la quantité de monnaie appropriée en prenant en compte les facteurs économiques. La création de monnaie se fait à partir du crédit. Normalement, la quantité de monnaie augmente, car il y a des gens qui vont créer des projets qui vont créer de la richesse. Le 2ᵉ enjeu, c’est que les banques centrales sont supposées être là pour brider. Le problème, c’est qu’on fait crédit à des gens qui ne fabriquent pas de richesse. L’agent économique qui, par nature, ne crée pas de richesse, c’est l’État. Il réorganise de la richesse, il redistribue de la richesse, il rend certains services, mais normalement ces services devraient être payants et devraient se couvrir. »
L’économiste n’en n’a pas terminé avec le budget de l’État et la banque centrale et finit par assener un coup final :
« Les bitcoiners me disent que je devrais être dans leur camp parce que je dénonce le déficit budgétaire », explique-t-il en riant « Vous voyez bien que les banques centrales ne font pas leur métier parce qu’elles laissent faire. »
Finalement, Jean-Marc Daniel participera à un panel, un peu plus tard, durant Surfin’ Bitcoin. Il se verra d’ailleurs remettre une large médaille « Bitcoin », pour le remercier de sa participation, mais pour aussi, peut-être, l’attirer vers l’univers fascinant de Bitcoin.
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