Accueil Quel impact pourrait avoir l’intelligence artificielle (IA) sur l’industrie musicale ?
Opinion, Toute l'actualité, Web 3.0

Quel impact pourrait avoir l’intelligence artificielle (IA) sur l’industrie musicale ?

David Rajaonary
impact-ia-industrie-musicale
Rejoignez notre groupe Telegram pour rester au courant des dernières nouvelles crypto en direct.

L’autre soir, je me suis retrouvé face à un concert singulier, diffusé en catimini. Point de musiciens sur scène, point d’instruments ni de partitions. Uniquement un ordinateur, connecté à un écran monumental, diffusant des mélodies inédites, engendrées par une intelligence artificielle (IA). Les spectateurs, ravis, acclamaient chaque morceau comme s’ils étaient témoins d’une performance humaine. Bluffant !

L’intelligence artificielle est en train de bouleverser l’industrie musicale, c’est une évidence. En offrant des possibilités nouvelles et parfois surprenantes pour la création, la production, la distribution et la consommation de musique. Mais avec elle, elle apporte des questionnements sur des enjeux bien réels, impactant le gagne-pain de milliers de petites mains, créateurs, interprètes, beatmakers, labels et jusqu’aux critiques musicaux eux-mêmes. Création musicale assistée ou engendrée par l’IA ? Protection des droits d’auteur face à l’IA ? Impacts de l’IA sur les labels ? Albums produits par des IA ? Voyons tout cela ensemble.

1 – L’IA et la création musicale : des mélodies cohérentes à partir de simples prompts

Dans le domaine musical, l’IA démontre déjà un potentiel remarquable pour faciliter et enrichir la création. Elle combine des modèles d’apprentissage profond et des bases de données musicales : des algorithmes se chargent ensuite de générer des compositions inspirées de différents genres et styles. De tels outils ouvrent des possibilités inédites de collaboration et d’expérimentation.

Il est désormais possible de générer de la musique à partir d’une simple description textuelle ou d’un mot-clé. Google propose MusicLM, une IA capable de produire des mélodies de plusieurs minutes à partir de phrases aussi simples que : “Compose une mélodie de violon apaisante accompagnée d’un riff de guitare distordu”. Et pour assurer le succès de son IA, Google a mis les moyens. Le groupe a mis en ligne MusicCaps, sorte de méga-base de données regroupant plus de 5000 paires musique-texte. Dans le jargon de l’IA, une paire musique-texte est un couple formé d’un morceau de musique et d’une description textuelle de ce morceau.

L’IA peut aussi imiter la voix ou le style de votre artiste préféré. Début février, le DJ David Guetta avait créé une petite polémique lors d’un de ses sets. Il a utilisé deux sites d’intelligence artificielle pour recréer la voix et le style d’Eminem sur un morceau joué en direct. Il a présenté ce projet comme une blague et a précisé qu’il ne le commercialiserait pas, mais le mal était fait. Une poignée d’artistes ont réagi, dont Jay-Z lui même, victime lui aussi d’un faux “sample” le 30 mars. Une imitation bluffante de sa voix sur un morceau de rap de 40 secondes, conçu par deux DJ français à l’aide d’une IA.

Le faux duo Drake ft. The Weeknd

 

Le 16 avril dernier, un faux duo entre Drake et The Weeknd, intitulé Heart on My Sleeve, a connu son quart d’heure de viralité sur les réseaux sociaux. La chanson a été écrite, produite et interprétée par l’auteur-compositeur Ghostwriter. Il a ensuite admis qu’il avait utilisé une IA pour transformer sa voix et prendre celle des deux stars canadiennes. Le résultat est bluffant. La vraie-fausse collaboration a connu un succès viral sur TikTok, YouTube, Spotify et d’autres plateformes, avant d’être retiré sur injonction d’Universal Music Group, la maison qui édite les deux compères.

cryptonaute twitter

2 – La protection des droits d’auteur face à l’IA : une personnalité juridique pour les robots ?

Cette formidable percée de l’IA apporte dans son sillage bien des dilemmes éthiques et juridiques. Le droit d’auteur, notamment, se trouve confronté à un problème complexe et inédit. Qui possède les droits sur une œuvre générée par une IA ? Le concepteur de l’IA, l’artiste dont le style est imité, ou l’IA elle-même ? Il devient urgent d’établir un cadre légal clair et harmonisé pour protéger les droits de l’artiste et reconnaître le rôle de l’IA dans la création musicale.

Le droit d’auteur en musique est complexe. Il implique plusieurs catégories d’ayants droit : les auteurs-compositeurs, les interprètes, les producteurs et les éditeurs. Chacun de ces acteurs dispose d’un droit patrimonial et moral sur son œuvre (ou sa prestation), et il peut céder ce droit. Il peut aussi le gérer par contrat ou par l’intermédiaire de sociétés de gestion collective comme la SACEM. Le droit d’auteur en musique vise à protéger l’originalité et l’intégrité de l’œuvre musicale, ainsi qu’à rémunérer les créateurs pour leur travail.

Or, l’IA pose des problèmes juridiques et éthiques liés à la création musicale. Qui est l’auteur d’une œuvre musicale générée par une IA ? L’IA elle-même, le programmeur, l’utilisateur ou personne ? Quels sont les critères pour reconnaître l’originalité d’une œuvre musicale produite par une IA ? Comment éviter la contrefaçon ou le plagiat d’une œuvre existante par une IA ? Comment répartir les droits et les revenus entre les différents acteurs impliqués dans la création musicale par IA ?

Pour l’heure, il n’existe pas de cadre légal clair pour répondre. Le droit d’auteur français ne reconnaît tout simplement pas de personnalité juridique aux IA : en fait, il exige une intervention humaine dans la création de l’œuvre. Le droit européen n’est pas plus avancé sur le sujet. Et ce, malgré une résolution du Parlement européen du 16 février 2017 qui propose d’accorder une personnalité juridique aux robots.

Face à ce vide juridique, plusieurs juristes proposent de créer un régime sui generis pour les œuvres produites par IA, qui garantirait une rémunération équitable aux créateurs humains et aux contributeurs de données (Nb : un régime sui generis, du latin signifiant “de son propre genre”, évoque une situation juridique dont la nouveauté empêche tout classement dans une catégorie déjà répertoriée et nécessite de créer un texte spécifique).

Aiva : une IA reconnue comme créateur par la SACEM

 

Nous avons en France le cas AIVA, une IA qui compose de la musique classique originale et personnalisée pour les films, les jeux vidéo ou la publicité. AIVA a même été reconnue comme un compositeur par la SACEM en 2016. Les talents de l’IA ont été utilisés pour composer une oeuvre musicale originale en partant d’une partition inachevée d’Antonín Dvořák, 150 ans après sa disparition !

3 – L’IA et les acteurs de l’industrie musicale : labels, interprètes, beatmakers et critiques musicaux

Au-delà des enjeux juridiques, l’IA interroge également notre conception de l’authenticité. Si les machines peuvent créer des œuvres d’art qui égalent ou surpassent celles des êtres humains, quelle valeur accorder à la créativité humaine ? Faut-il craindre une déshumanisation de la musique, où l’art devient le produit d’algorithmes impersonnels plutôt que l’expression d’émotions, d’un vécu ?

L’IA n’a pas le même impact sur les différents acteurs de l’industrie musicale, selon leur position.

Pour les beatmakers et les chanteurs, l’IA peut faciliter et enrichir le processus créatif. L’IA peut les aider à composer, à arranger, à mixer ou à masteriser. L’IA peut aussi les inspirer, en leur suggérant des idées, des mélodies, des paroles. Mais surtout, l’IA les aidera à se faire connaître d’un public plus large, par le biais des plateformes de streaming et des réseaux sociaux. Les beatmakers et les chanteurs trouvent dans l’IA davantage un allié qu’une menace.

Pour les producteurs et les labels, l’IA représente clairement une menace.  Elle peut réduire leur rôle d’intermédiaires entre les artistes et le public. En effet, l’IA peut permettre aux artistes de créer et de diffuser leur musique de manière autonome. Autrement dit, sans passer par les circuits traditionnels de production et de distribution. L’IA peut aussi concurrencer les producteurs en proposant des musiques générées à la demande, adaptées aux goûts et aux besoins des consommateurs. Mais il arrive aussi, parfois, que l’IA les aide.

Le label Snafu Records, premier label musical à utiliser une IA pour dénicher de nouveaux talents

 

Depuis 2020, le label utilise une IA nommée A&R (pour Artists and Repertoire), qui analyse les données de streaming, les réseaux sociaux et les tendances musicales pour identifier les artistes émergents au meilleur potentiel. Le label affirme que son IA lui permet de gagner du temps et de réduire les coûts, tout en découvrant des artistes originaux et diversifiés. Parmi les artistes signés par Snafu Records grâce à l’IA, on peut citer Tessa Dixson, Jinka ou Bad Child.

4 – L’IA et les parodies musicales : un nouveau danger ?

Nous avons parlé du faux duo de Drake et The Weeknd, des faux morceaux de Jay-Z et d’Eminem, mais qu’en est-il des parodies assumées ?

Les parodies musicales réalisées à partir d’outils IA sont en effet des créations originales. Seulement, elles imitent le style ou le genre d’un artiste ou d’une chanson connue. Elles peuvent être humoristiques, satiriques ou simplement expérimentales. Il y a potentiellement un souci, car où s’arrête la parodie et où commence le deepfake ?

Il y a quantité d’exemples troublants. Pour faire rire, des adolescents américains ont fait chanter des chansons de Kanye West ou de Rihanna à des personnages de dessins animés tels que Bob l’éponge ou Homer Simpson. Mais, plus préoccupant, des Britanniques ont utilisé l’IA pour recréer la voix de Freddie Mercury et le faire chanter des chansons qu’il n’a jamais interprétées, comme “Don’t Look Back in Anger” d’Oasis ou “Last Christmas” de Wham.

Ces parodies sont souvent faites pour le divertissement ou pour illustrer les capacités de l’IA, mais elles peuvent aussi poser des questions éthiques ou juridiques sur le respect des droits des artistes. Qu’il s’agisse d’artistes du passé ou de stars bien vivantes.

TravisBott : imiter ou rendre hommage à Travis Scott ?

 

Le titre Jack Park Canny Dope Man est une chanson qui imite le style du rappeur américain Travis Scott. La chanson a été créée par l’agence digitale space150, qui a utilisé une IA pour analyser les chansons de Travis Scott et en générer une nouvelle. Le résultat est une chanson aux paroles absurdes mais aux sonorités proches de celles du rappeur, avec son flow autotuné et ses accroches très caractéristiques (“straight up”, “it’s lit”). La chanson a été attribuée à un faux rappeur nommé TravisBott, qui a même sa propre chaîne YouTube.

5 – Conclusion

Au final, la percée de l’IA dans l’industrie musicale est essentiellement technique, pas encore totalement créatrice. Car l’IA n’est pas capable de créer de la musique. Elle n’est capable que de reproduire, de simuler, de plagier. Elle analyse des milliers d’œuvres musicales existantes, elle en extrait des motifs, des règles, des structures, et elle les recompose à l’infini, en variant les paramètres. Elle ne fait que du collage, du remixage, du recyclage. Elle ne fait que du bruit, littéralement.

La musique, au contraire, est une création originale, unique, irremplaçable. Elle est le fruit d’une inspiration, d’une intuition, d’une émotion. Elle est le reflet d’une personnalité, d’une sensibilité, d’une vision du monde. Elle est, comme dirait le poète, le souffle de l’esprit.

L’IA n’a pas d’esprit. Elle n’a pas de conscience. Elle n’a pas de volonté. Elle n’a pas de liberté. Elle n’a pas de responsabilité. Elle n’a pas de morale. Elle n’a pas de but, surtout. Elle n’est qu’un outil, qu’un moyen, qu’un instrument. Elle est au service de l’homme, et non l’inverse.

Mais voilà le danger : que l’homme se laisse séduire par cette IA qui lui promet des facilités, des gains de temps, des économies d’effort. Que l’homme se laisse déposséder de sa créativité, de son originalité, de son humanité. Que l’industrie musicale se laisse asservir par cette IA qui lui impose ses normes, ses codes, ses modèles.

Hello World : le premier album IA + Humains

 

L’album Hello World détient l’honneur insigne du premier album multi-artistes composé avec l’aide d’une IA. Il s’agit du système Flow Machines développé par le chercheur François Pachet et son équipe. L’album, sorti en 2018, regroupe 15 titres aux styles différents, allant de la pop au jazz en passant par l’électro ou le classique. Chaque titre est le fruit d’une collaboration entre un artiste humain et l’IA, qui lui propose des mélodies, des harmonies ou des timbres en fonction du style choisi. L’artiste humain garde le contrôle final sur la création et peut modifier ou rejeter les propositions de l’IA. L’album a bénéficié de la participation de plusieurs artistes renommés, comme Stromae, Kiesza ou Camille Bertault.


Sources : Fortune, Variety Magazine, New York Times, SensCritique, HipHop Corner, Music Tech, RTBF, Le Figaro


Sur le même sujet :

Rejoignez notre groupe Telegram pour rester au courant des dernières nouvelles crypto en direct.
Ajoutez Cryptonaute à vos flux Google Actualités

David Rajaonary

David Rajaonary

David est analyste financier indépendant, et décrypte chaque dimanche pour vous l’actualité de la crypto et de la finance de la semaine. Il écrit régulièrement quelques papiers pour analyser des acteurs clés de la DeFi, des stablecoins et des monnaies numériques de banques centrales.

Diplômé en Finance et Comptabilité, David exerce depuis 10 ans dans l’Audit, le Conseil en management et l’Analyse financière. Ses premiers pas dans la crypto datent de 2020, avec l’étude de projets de monnaies numériques de banque centrale (MNBC) et de registres distribués (blockchains privées).

Depuis, David écrit régulièrement sur la percée des projets Ripple (XRP), Stellar Lumens (XLM) et Chainlink (LINK). Dans ses articles, il vous montre comment ces projets blockchain s’immiscent et transforment silencieusement le monde bancaire et celui de l'investissement.

Paiements transfrontaliers, transferts d’argent, bancarisation des populations vulnérables, prêts, tokénisation de titres financiers, tokénisation de biens immobiliers, lutte contre la fraude, sécurité … sont le fil conducteur de ses articles.

(Petit disclaimer : il s’exprime à titre personnel et son traitement de l’actualité ne constitue en rien des conseils d’investissement, ni des incitations à acheter ou à vendre des cryptomonnaies. Les prises de position, critiques et conclusions sont établies toujours dans le respect des principes d’éthique et de transparence journalistiques)

Quand il ne rédige pas sur la crypto, David aime explorer l’histoire de l’Art africain et des civilisations arabes.

Recevez toute l'actualité crypto en direct sur Telegram
Rejoignez notre groupe Telegram