
L’autre soir, je me suis retrouvé face à un concert singulier, diffusé en catimini. Point de musiciens sur scène, point d’instruments ni de partitions. Uniquement un ordinateur, connecté à un écran monumental, diffusant des mélodies inédites, engendrées par une intelligence artificielle (IA). Les spectateurs, ravis, acclamaient chaque morceau comme s’ils étaient témoins d’une performance humaine. Bluffant !
L’intelligence artificielle est en train de bouleverser l’industrie musicale, c’est une évidence. En offrant des possibilités nouvelles et parfois surprenantes pour la création, la production, la distribution et la consommation de musique. Mais avec elle, elle apporte des questionnements sur des enjeux bien réels, impactant le gagne-pain de milliers de petites mains, créateurs, interprètes, beatmakers, labels et jusqu’aux critiques musicaux eux-mêmes. Création musicale assistée ou engendrée par l’IA ? Protection des droits d’auteur face à l’IA ? Impacts de l’IA sur les labels ? Albums produits par des IA ? Voyons tout cela ensemble.
1 – L’IA et la création musicale : des mélodies cohérentes à partir de simples prompts
Dans le domaine musical, l’IA démontre déjà un potentiel remarquable pour faciliter et enrichir la création. Elle combine des modèles d’apprentissage profond et des bases de données musicales : des algorithmes se chargent ensuite de générer des compositions inspirées de différents genres et styles. De tels outils ouvrent des possibilités inédites de collaboration et d’expérimentation.
Il est désormais possible de générer de la musique à partir d’une simple description textuelle ou d’un mot-clé. Google propose MusicLM, une IA capable de produire des mélodies de plusieurs minutes à partir de phrases aussi simples que : “Compose une mélodie de violon apaisante accompagnée d’un riff de guitare distordu”. Et pour assurer le succès de son IA, Google a mis les moyens. Le groupe a mis en ligne MusicCaps, sorte de méga-base de données regroupant plus de 5000 paires musique-texte. Dans le jargon de l’IA, une paire musique-texte est un couple formé d’un morceau de musique et d’une description textuelle de ce morceau.
L’IA peut aussi imiter la voix ou le style de votre artiste préféré. Début février, le DJ David Guetta avait créé une petite polémique lors d’un de ses sets. Il a utilisé deux sites d’intelligence artificielle pour recréer la voix et le style d’Eminem sur un morceau joué en direct. Il a présenté ce projet comme une blague et a précisé qu’il ne le commercialiserait pas, mais le mal était fait. Une poignée d’artistes ont réagi, dont Jay-Z lui même, victime lui aussi d’un faux “sample” le 30 mars. Une imitation bluffante de sa voix sur un morceau de rap de 40 secondes, conçu par deux DJ français à l’aide d’une IA.
2 – La protection des droits d’auteur face à l’IA : une personnalité juridique pour les robots ?
Cette formidable percée de l’IA apporte dans son sillage bien des dilemmes éthiques et juridiques. Le droit d’auteur, notamment, se trouve confronté à un problème complexe et inédit. Qui possède les droits sur une œuvre générée par une IA ? Le concepteur de l’IA, l’artiste dont le style est imité, ou l’IA elle-même ? Il devient urgent d’établir un cadre légal clair et harmonisé pour protéger les droits de l’artiste et reconnaître le rôle de l’IA dans la création musicale.
Le droit d’auteur en musique est complexe. Il implique plusieurs catégories d’ayants droit : les auteurs-compositeurs, les interprètes, les producteurs et les éditeurs. Chacun de ces acteurs dispose d’un droit patrimonial et moral sur son œuvre (ou sa prestation), et il peut céder ce droit. Il peut aussi le gérer par contrat ou par l’intermédiaire de sociétés de gestion collective comme la SACEM. Le droit d’auteur en musique vise à protéger l’originalité et l’intégrité de l’œuvre musicale, ainsi qu’à rémunérer les créateurs pour leur travail.
Or, l’IA pose des problèmes juridiques et éthiques liés à la création musicale. Qui est l’auteur d’une œuvre musicale générée par une IA ? L’IA elle-même, le programmeur, l’utilisateur ou personne ? Quels sont les critères pour reconnaître l’originalité d’une œuvre musicale produite par une IA ? Comment éviter la contrefaçon ou le plagiat d’une œuvre existante par une IA ? Comment répartir les droits et les revenus entre les différents acteurs impliqués dans la création musicale par IA ?
Pour l’heure, il n’existe pas de cadre légal clair pour répondre. Le droit d’auteur français ne reconnaît tout simplement pas de personnalité juridique aux IA : en fait, il exige une intervention humaine dans la création de l’œuvre. Le droit européen n’est pas plus avancé sur le sujet. Et ce, malgré une résolution du Parlement européen du 16 février 2017 qui propose d’accorder une personnalité juridique aux robots.
Face à ce vide juridique, plusieurs juristes proposent de créer un régime sui generis pour les œuvres produites par IA, qui garantirait une rémunération équitable aux créateurs humains et aux contributeurs de données (Nb : un régime sui generis, du latin signifiant “de son propre genre”, évoque une situation juridique dont la nouveauté empêche tout classement dans une catégorie déjà répertoriée et nécessite de créer un texte spécifique).
3 – L’IA et les acteurs de l’industrie musicale : labels, interprètes, beatmakers et critiques musicaux
Au-delà des enjeux juridiques, l’IA interroge également notre conception de l’authenticité. Si les machines peuvent créer des œuvres d’art qui égalent ou surpassent celles des êtres humains, quelle valeur accorder à la créativité humaine ? Faut-il craindre une déshumanisation de la musique, où l’art devient le produit d’algorithmes impersonnels plutôt que l’expression d’émotions, d’un vécu ?
L’IA n’a pas le même impact sur les différents acteurs de l’industrie musicale, selon leur position.
Pour les beatmakers et les chanteurs, l’IA peut faciliter et enrichir le processus créatif. L’IA peut les aider à composer, à arranger, à mixer ou à masteriser. L’IA peut aussi les inspirer, en leur suggérant des idées, des mélodies, des paroles. Mais surtout, l’IA les aidera à se faire connaître d’un public plus large, par le biais des plateformes de streaming et des réseaux sociaux. Les beatmakers et les chanteurs trouvent dans l’IA davantage un allié qu’une menace.
Pour les producteurs et les labels, l’IA représente clairement une menace. Elle peut réduire leur rôle d’intermédiaires entre les artistes et le public. En effet, l’IA peut permettre aux artistes de créer et de diffuser leur musique de manière autonome. Autrement dit, sans passer par les circuits traditionnels de production et de distribution. L’IA peut aussi concurrencer les producteurs en proposant des musiques générées à la demande, adaptées aux goûts et aux besoins des consommateurs. Mais il arrive aussi, parfois, que l’IA les aide.
4 – L’IA et les parodies musicales : un nouveau danger ?
Nous avons parlé du faux duo de Drake et The Weeknd, des faux morceaux de Jay-Z et d’Eminem, mais qu’en est-il des parodies assumées ?
Les parodies musicales réalisées à partir d’outils IA sont en effet des créations originales. Seulement, elles imitent le style ou le genre d’un artiste ou d’une chanson connue. Elles peuvent être humoristiques, satiriques ou simplement expérimentales. Il y a potentiellement un souci, car où s’arrête la parodie et où commence le deepfake ?
Il y a quantité d’exemples troublants. Pour faire rire, des adolescents américains ont fait chanter des chansons de Kanye West ou de Rihanna à des personnages de dessins animés tels que Bob l’éponge ou Homer Simpson. Mais, plus préoccupant, des Britanniques ont utilisé l’IA pour recréer la voix de Freddie Mercury et le faire chanter des chansons qu’il n’a jamais interprétées, comme “Don’t Look Back in Anger” d’Oasis ou “Last Christmas” de Wham.
Ces parodies sont souvent faites pour le divertissement ou pour illustrer les capacités de l’IA, mais elles peuvent aussi poser des questions éthiques ou juridiques sur le respect des droits des artistes. Qu’il s’agisse d’artistes du passé ou de stars bien vivantes.
5 – Conclusion
Au final, la percée de l’IA dans l’industrie musicale est essentiellement technique, pas encore totalement créatrice. Car l’IA n’est pas capable de créer de la musique. Elle n’est capable que de reproduire, de simuler, de plagier. Elle analyse des milliers d’œuvres musicales existantes, elle en extrait des motifs, des règles, des structures, et elle les recompose à l’infini, en variant les paramètres. Elle ne fait que du collage, du remixage, du recyclage. Elle ne fait que du bruit, littéralement.
La musique, au contraire, est une création originale, unique, irremplaçable. Elle est le fruit d’une inspiration, d’une intuition, d’une émotion. Elle est le reflet d’une personnalité, d’une sensibilité, d’une vision du monde. Elle est, comme dirait le poète, le souffle de l’esprit.
L’IA n’a pas d’esprit. Elle n’a pas de conscience. Elle n’a pas de volonté. Elle n’a pas de liberté. Elle n’a pas de responsabilité. Elle n’a pas de morale. Elle n’a pas de but, surtout. Elle n’est qu’un outil, qu’un moyen, qu’un instrument. Elle est au service de l’homme, et non l’inverse.
Mais voilà le danger : que l’homme se laisse séduire par cette IA qui lui promet des facilités, des gains de temps, des économies d’effort. Que l’homme se laisse déposséder de sa créativité, de son originalité, de son humanité. Que l’industrie musicale se laisse asservir par cette IA qui lui impose ses normes, ses codes, ses modèles.
Sources : Fortune, Variety Magazine, New York Times, SensCritique, HipHop Corner, Music Tech, RTBF, Le Figaro
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