Lasha Antadze est le co-fondateur de Rarify Labs. Créée en 2022, la startup a levé 10 millions de dollars en série A auprès de Pantera Capital, pour développer son protocole qui gère l’identité numérique de demain à travers plusieurs blockchains.
Sur quelle idée de base est née Rarimo ?
L’idée a émergé pendant cet été fou des NFT (non-fungible tokens) en 2021, où l’on voyait ces collectibles, ces “profile pictures” (PP) et ces JPEG. En réalité, cela a démontré un aspect communautaire, où nous utilisons certains NFT en tant que preuve d’appartenance à un groupe social. Cette façon d’utiliser le NFT comme un signal externe m’a littéralement fasciné.
Il n’était pas juste question de fédérer une communauté, mais de définir l’identité de chacun, et ensuite ses besoins. La blockchain, les canaux Discord, le Network State… tous ces besoins ont émergé depuis cette nouvelle forme d’identité numérique, que l’on peut partager ou garder pour soi.
De quoi parle-t-on quand on évoque l’identité ?
En fin de compte, aujourd’hui, la façon dont le monde définit l’identité est assez étriquée, c’est-à-dire d’abord avec ces documents, ces papiers, votre lieu de naissance, votre nom de famille. C’est certain que c’est utile de les avoir. Mais, spécialement dans un monde digital, l’identité a un sens beaucoup plus large.
Elle regroupe certains attributs : les choses avec lesquelles nous interagissons ou que nous possédons. La blockchain a en cela un côté unique, car oui, le bitcoin au départ était lié à la finance, mais les wallets sont devenus des outils sociaux. Et le fait que la blockchain rende les choses vérifiables est quelque chose qui confère à cette technologie cet aspect fascinant.
Tout ce qui est arrivé avec les NFT, les collectibles, les communautés, la propriété, sont des caractéristiques qui nous unissent ou nous différencient. Nous sommes dans cet océan où il faut redéfinir ce qu’est l’identité, au-delà de ces morceaux de plastiques qui nous ont été donnés par les gouvernements.
En quoi consiste Rarimo ?
Rarify Labs supporte le protocole distribué Rarimo qui veut être cette couche d’identité (layer) entre les blockchains dans un monde digital, qui soit capable de produire cet accès universel et les capacités de vérification à n’importe quelle dApp (application décentralisée) ou distributeur.
Je pense qu’au-delà des standards (NFT, SBT, self-sovereign identity…) qui traitent de la manière dont on stocke et gère cette identité, il y a des services qui définissent notre personne : WorldCoin, ou des médias sociaux décentralisés comme Lens Protocol, Cyber Connect, ou Farcaster. Ce sont des émetteurs d’identité qui génèrent votre empreinte sociale, vos followers, vos amis, vos intérêts. Ils estampillent tous les attributs de votre identité sous la forme d’une cartographie sociale.
Nous pensons que chaque utilisateur devrait pouvoir gérer cet océan d’attributs. Mais il faut aussi que l’écosystème en lui-même puisse lire, vérifier et faire confiance à ces attributs numériques créés. C’est le rôle de Rarimo de fournir ce layer, où chaque attribut est paramétrable en utilisant les zK. Mais au final, la vraie valeur est que l’utilisateur puisse posséder ses propres attributs et les porter d’une plateforme à une autre.
Ce n’est pas possible aujourd’hui ?
Pas du tout. Hier, je suis arrivé tard à Amsterdam et j’ai voulu acheter de l’eau dans un kiosque. Il n’y en restait plus, il n’y avait que de la bière. On m’a simplement demandé à la caisse de confirmer sur un bouton que j’avais plus de 18 ans, sans aucune autre vérification. S’il y avait eu un émetteur capable de vérifier en amont que je suis majeur, je n’aurai eu qu’à transporter la donnée sur mon âge à ce kiosque.
Avec cette technologie de preuve à connaissance nulle (zero-knowledge proof), je n’ai pas besoin de divulguer mon âge, j’ai juste besoin de montrer la preuve que j’ai plus de 18 ans, grâce aux émetteurs.
Il reste donc toujours une entité centralisée, les émetteurs, en qui nous devons faire confiance…
Il y a toujours quelqu’un pour certifier que vous êtes né quelque part, ou que votre nom est correct. Je ne crois pas que dans le monde physique, on puisse éviter ce genre de services. On ne peut pas, pour un outil de prise de vérification de votre âge, construire sur un service 100% décentralisé comme une DAO (decentralized autonomous organization).
En revanche, ce qui est intéressant, c’est le caractère optionnel. En tant qu’utilisateur, je dois pouvoir choisir à quel fournisseur de services je confie mes données. Si je ne veux pas utiliser la biométrie de Worldcoin mais que je préfère la preuve d’humanité basée sur l’empreinte sociale, j’ai le choix. C’est cette portabilité que nous voulons apporter à l’écosystème.
Le projet Worldcoin soulève beaucoup de questions sur la confidentialité des données d’identité et sur la sécurité. Quel est votre avis ?
Le caractère optionnel qu’apporte Rarimo est essentiel, car il garantit que l’utilisateur a le choix final. De mon point de vue, parce que c’est un projet très observé, Worldcoin est sans doute plus transparent que beaucoup de gouvernements qui prennent nos empreintes digitales et d’iris sans que l’on sache exactement où et comment elles sont stockées.
Cela montre aussi que construire dans le cadre d’un réseau ouvert, tel que la blockchain, a un meilleur potentiel que ces “boîtes noires gouvernementales” comme je les appelle.
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