Licorne web3 valorisée 6 milliards d’euros, Animoca Brands est l’un des investisseurs les plus influents après avoir levé 110 millions de dollars en 2022.
Son PDG, Robby Yung, était au CV Summit à Zoug (Suisse) pour promouvoir l’idée d’un “open metaverse” web3 plus inclusif et interconnecté que les métavers actuels, rendus certes populaires par les grandes marques web2 comme Meta (Facebook) en 2021. Mais qui restent selon lui des “îles qui ne communiquent pas entre elles”.
Il revient aussi sur la France pour laquelle il est “bullish”, et annonce en exclusivité à Cryptonaute qu’Animoca Brands poursuivra en 2024 ses investissements dans les startups tricolores, après The Sandbox (Paris) ou encore Eden Games (Lyon).
Pourquoi avoir mis l’accent sur l’open metaverse lors de votre talk au CV Summit? Quel message vouliez-vous faire passer ?
Je pense que c’est un sujet capital. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons créé l’Open Metaverse Alliance (OMA3). Nous voulons un monde web3 qui soit plus ouvert.
Qu’est-ce qui manque dans le métavers actuel ? Qu’est-ce que “l’open metaverse” apporte de nouveau?
La façon dont nous imaginons le métavers, c’est un endroit où nous pouvons faire en ligne à peu près tout ce que nous pouvons faire dans la vie réelle. Nous voulons pouvoir y jouer, y travailler, nous éduquer, créer des relations sociales… Les réseaux sociaux, qui existent depuis longtemps, permettent de le faire.
Nous voyons le métavers comme un endroit alternatif singulier. Si vous l’imaginez comme la planète Terre, vous avez des continents, des pays, des villes, des villages, qui sont autant de couches différentes. Le métavers est un espace vaste, inclusif et très désordonné, tout comme la planète Terre. Il y a des applications, des mini-métavers, des jeux vidéos, des réseaux sociaux… qui sont autant de villes, de pays et d’îles, dans le métavers dans son ensemble. Le but est de connecter ces applications qui sont aujourd’hui isolées les unes des autres.
C’est-à-dire ?
Dans le web2, vous avez un tas de superbes applications dédiées à faire des choses très spécifiques, mais qui ne communiquent pas entre elles. Ce que nous voulons, en faisant communiquer ces espaces entre eux, c’est aboutir à un monde interconnecté. Car même si je passe le plus clair de mon temps dans The Sandbox, parfois j’aimerais peut-être pouvoir aller dans Alien Worlds… Exactement comme dans la vie réelle je pourrais prendre le train, l’avion ou la voiture pour rejoindre un autre endroit. Je pourrais y emmener mes vêtements, mon argent. Dans mon “moi-digital”, pourquoi ne pas m’offrir la possibilité, une fois que je possède les objets numériques, de les transporter d’un endroit à un autre ?
Selon vous, les métavers traditionnels ne sont pas assez connectés ?
Ils ne le sont même pas du tout. Ce sont des îles, tout comme les applications web2 d’aujourd’hui. Si je joue à un jeu comme Fortnite, qui est un univers alternatif magnifique à lui tout seul, je reste limité. J’ai des chars, des peaux, des objets, que je ne peux pas emmener avec moi dans un autre jeu comme World of Warcraft (WoW). Je dois créer plusieurs comptes, plusieurs identités, lier plusieurs comptes bancaires, c’est absolument dingue. Et si je pouvais tout emmener avec moi ? Ce serait le vrai métavers.
Votre portfolio compte plus de 450 projets web3, quelle est votre vision de l’écosystème ?
Nous sommes en train de faire la transition d’un monde où l’ensemble de nos objets numériques n’ont plus de valeur, puisqu’ils sont copiables à l’infini sans aucune protection de la propriété intellectuelle, vers un monde web3 où nous disposons d’une vraie propriété numérique. Et où les objets digitaux gardent leur valeur. Ce n’est pas juste la question de faire du profit en achetant un objet virtuel. Mais une fois que vous avez cet actif, vous pouvez faire plein de choses.
Si vous possédez une maison, vous pouvez avoir un prêt sur ce bien, et utiliser cet argent pour démarrer une affaire par exemple. Si vous louez cette même maison, vous ne pouvez pas le faire. Dans le monde du logiciel, nous sommes encore dans une économie du service et de la location. Par exemple, sur NFTfi, qui est un protocole de lending NFT populaire, vous pouvez utiliser les actifs internes des jeux pour obtenir un prêt sur la DeFi. C’est une manière de construire de la valeur numérique à partir de ces actifs digitaux. Aujourd’hui, les 10 à 11 heures que nous passons chaque jour derrière un écran ne sont pas valorisées.
Pensez-vous que le gaming puisse être à la pointe de ces changements ?
Absolument. Quand vous regardez bien, les gamers le font déjà depuis une vingtaine d’années. Ils n’ont pas besoin qu’on les convainque de la valeur des objets numériques, ils le savent déjà. La seule différence, c’est que jusqu’ici ils les louaient sans les posséder vraiment. Quand on parle d’onboarder les gens du web2 vers le web3, le gaming est un point d’entrée naturel. Les cinq milliards de personnes qui jouent aux jeux vidéos dans le monde sont déjà habitués à dépenser de la monnaie virtuelle pour… des objets virtuels.
Comment choisissez-vous les marques avec qui vous travaillez et sur lesquelles vous investissez ?
En fonction de deux caractéristiques principales. La première, elles doivent représenter une très large communauté de fans. Par exemple, nous adorons les marques liées au football, parce que c’est un sport extrêmement populaire. Ou encore, des marques du divertissement qui parlent à des millions de gens dans le monde. La seconde, nous aimons travailler avec des marques courageuses, qui aiment tenter des choses.
Qu’est-ce que le bear-market a changé dans votre approche ?
Nous l’appelons “bear market” en crypto, mais les conditions macro-économiques ne sont pas favorables d’une manière générale depuis 18 mois. Cela a eu un effet sur notre industrie, qui a connu un ralentissement dans sa croissance, de même que dans les investissements. Nous avons commencé en plaçant la barre très haute car tout explosait.
Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que malgré ce ralentissement nous avons une croissance qui reste supérieure à l’économie mondiale. Et surtout, nous commençons à voir les fruits du travail accompli depuis des années. On voit beaucoup de startups fondées en 2020 ou 2021, dont les produits arrivent à maturité maintenant, car cela prend du temps de développer de bons produits. L’année dernière la valeur créée par les créateurs NFT était de 30 milliards de dollars. C’est un montant conséquent pour un marché de taille assez petite, qui comprend à peine quelques dizaine de millions de consommateurs pour ce qui est du web3.
Que pensez-vous du succès fulgurant de Friend.tech?
C’est une plateforme très intéressante. Mais je pense que ce n’est pas ce qui lui arrivera sur le long terme qui compte, mais ce qu’ils ont déjà accompli. Ils ont prouvé que là où il y a une adéquation entre le produit et son marché, il est possible de créer une application web3-native, distribuée sur les téléphones, sans avoir besoin d’utiliser l’AppStore pour la distribuer.
A ce jour, nous n’avions qu’un cas d’usage avec Axie Infinity, qui a été intégré. Dans le web3, voir une plateforme comme Friend.tech qui réussit à se tenir à l’écart des contraintes d’Apple et Google, tout en ayant un succès aussi massif, est très instructif pour toute l’industrie. A mon sens, beaucoup d’applications vont prendre ce chemin d’utiliser le modèle Progressive web-app (PWA) à l’avenir.
Animoca Brands est présent en France…
Je suis très bullish sur la France ! Comme vous le savez nous avons trois studios, dont deux à Paris, avec bien sûr The Sandbox, et notre studio de jeux “triple A”, Life Beyond Studios, dont l’équipe vient en partie de Ubisoft. Nous avons aussi Eden Games, un studio racing basé à Lyon, qui est un grand hub pour les jeux de racing.
Dans cet écosystème web3, la France a fait un travail remarquable en construisant une vraie communauté de builders. Ce que je vois aussi, c’est une symbiose entre les écoles, les pouvoirs publics, les entrepreneurs locaux et les fonds VC. Pour moi c’est la communauté la plus active en Europe.
Avez-vous d’autres startups françaises en ligne de mire ?
Nous sommes en croissance, et en effet nous avons décidé de continuer d’investir dans des entreprises françaises. Nous sommes toujours à la recherches de nouvelles opportunités.
Comment vivez-vous les évolutions de la régulation, notamment aux Etats-Unis ?
La régulation a constamment évolué depuis que nous sommes entrés dans ce business web3 il y a cinq à six ans. Il y a de la place pour faire mieux, mais cela s’améliore. Ce qui se passe aux Etats-Unis avec la Securities and Exchange Commission (SEC) fait les gros titres, mais rappelons-nous qu’il y a six mois nous ne savions pas vraiment ce qu’ils pensaient. Au-moins désormais nous en savons un peu plus, ce qui est une bonne chose. Au final, ce dont l’industrie a besoin c’est plus de clarté sur la régulation, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Car notre pire ennemi, en tant qu’investisseurs, c’est l’incertitude.