I Owe U. L’enregistrement audio d’une réunion interne à Celsius révèle que les dirigeants envisagent une méthode alternative pour rembourser les clients : transformer les bitcoins, ethers et USDC que le prêteur doit, en jetons IOU. Des jetons échangeables sur le marché ou à conserver pour ceux qui croiraient encore à un (hypothétique) avenir de la plateforme. Un moyen de s’en sortir ou une (énième) preuve d’amateurisme ?
Restructurer 4,7 milliards de dettes en tokens IOU : le plan de la dernière chance ?
Celsius doit environ 4,7 milliards de dollars à 500 000 déposants. 300 000 d’entre eux détiennent plus de 100 dollars sur leurs comptes.
Depuis des mois, les dirigeants veulent éviter de procéder à la liquidation de tous les actifs. Parmi les repreneurs intéressés, des sources proches du dossier ont évoqué tour à tour l’intérêt de Ripple Labs, Nexo, FTX, Morgan Creek et même Goldman Sachs.
Parmi les actifs les plus intéressants de la plateforme déchue, il y a notamment la filiale Celsius Mining, sur laquelle la plateforme fonde de nombreux espoirs (nous y reviendrons).
Au lieu de vendre, les dirigeants souhaiteraient donc “wrapper” les dettes en BTC, ETH et USDC en reconnaissances de dettes tokenisées. Les clients auraient alors le choix :
- 👉🏼 Racheter ces tokens IOU (le calendrier de ces rachats reste incertain)
- 👉🏼 Échanger ces tokens sur le marché contre d’autres jetons (ce qui suppose de savoir quels exchanges accepteront de les lister)
- 👉🏼 Conserver ces jetons s’ils gardent confiance dans une hypothétique reprise des activités de Celsius
C’est Tiffany Fong, youtubeuse et cliente de la plateforme, qui a révélé les intentions des dirigeants, via un enregistrement audio d’une réunion interne. On y entend Nuke Goldstein (cofondateur et directeur technique) expliquer la tokénomique du futur jeton à ses collaborateurs.
Dans une autre conversation de groupe interne également partagée par T. Fong, on apprend que la proposition aurait été accueillie positivement par le groupe de créanciers, lors d’une réunion tenue le 8 septembre avec le PDG Alex Mashinsky.
Notons qu’il s’agit du groupe de créanciers les plus lésés, réunis au sein d’un UCC (Committee of Unsecured Creditors) comme le prévoit le Code des faillites US.
Les tokens IOU déjà utilisés par d’autres acteurs crypto en difficulté
Le procédé n’est pas nouveau.
👉🏼 Le géant chinois du minage Poolin a annoncé le 13 septembre dernier qu’il gelait les retraits, et allait distribuer six jetons ERC-20 à ses clients lésés. Selon la nature des cryptos qui leur sont dues, ceux-ci recevront des tokens IOUBTC, IOULTC, IOUETH, IOUDOGE, IOUUSDT, IOULTC ou encore IOUZEC. Chaque jeton sera émis à une valeur initiale à 1:1 de la créance.
Là où la situation est différente, c’est que Poolin continue de reverser à ses clients les cryptomonnaies minées quotidiennement. Les jetons IOU représentent une reconnaissance de dette “instantanée des soldes restants de BTC, d’ETH et autres cryptos sur le pool” au moment du gel des retraits, selon le communiqué.
👉🏼 La plateforme Bitfinex y a également eu recours par deux fois.
L’épisode le plus récent remonte à mai 2019, avec l’émission de jetons LEO après que la justice new-yorkaise ait découvert un trou de 850 millions de dollars dans ses comptes. En effet, la plateforme aurait pris la décision de mélanger ses propres fonds avec les réserves de sa société-soeur Tether (celles de l’USDT), face à des difficultés répétées avec son prestataire de paiement principal Crypto Capital.
L’autre épisode date d’août 2016, faisant suite au piratage de 120 000 BTC . Bitfinex a émis des jetons BFX pour rembourser 36% aux clients touchés par le piratage. Si les jetons BFX ont été émis à 1 dollar, ils se sont malheureusement échangés régulièrement sous les 0,80 dollar jusqu’en avril 2017, date à laquelle la plateforme aurait racheté les derniers BFX en circulation.
Celsius compte sur son activité de minage pour rebondir
Le prêteur déchu compte sur sa filiale Celsius Mining pour renflouer ses caisses et donner un minimum de sens à son (futur) jeton IOU.
Nous vous rapportions le 17 juillet dernier que Celsius avait reçu le feu vert du juge Martin Glenn pour miner des bitcoins et les revendre dans un cadre très strict.
L’entreprise dispose d’un parc de 80 850 machines de minage (ASIC), dont 43 632 sont opérationnelles.
Elle envisage de miner jusqu’à 16 BTC par jour, pour un volume de 10 500 BTC d’ici la fin 2022, et qui devrait dépasser les 15 000 BTC durant l’année 2023.
Cette filiale de Celsius existe depuis 2020. Une levée de fonds de 350 millions de dollars en 2021 lui avait permis, justement, de faire passer son parc de 22 000 à plus de 42 000 ASIC.
Le business model consistait à prêter ses bitcoins à des institutionnels, incluant par exemple le défunt fonds singapourien Three Arrows Capital – 3AC
Au plus haut historique des marchés, Celsius détenait jusqu’à 28,6 milliards de dollars d’actifs. Ils en valent aujourd’hui moins de 3,9 milliards.
Un rapport récent du cabinet Kirkland & Elli – avocats de la plateforme – donne un aperçu plus précis des actifs en BTC, ETH, USDC et autres jetons (voir image ci-dessous), avec notamment :
- 37 926 BTC restants sur les 100 669 BTC déposés par les utilisateurs : soit 348 millions d’avoirs en BTC, pour 2,5 milliards de passifs,
- 417 392 ETH restants : soit un 713 millions d’avoirs en ETH, pour près de 1,8 milliards de passifs
Miner frénétiquement des bitcoins, et prier pour que le bear market s’achève enfin. Les dirigeants de Celsius n’en sont plus à une preuve d’amateurisme près. Depuis juillet, divers secrets refont surface : fausses déclarations depuis 2021, manipulation du jeton CEL de la plateforme, mécanismes digne d’un Ponzi, prise en main du trading par le patron Alex Mashinsky au nez et à la barbe du comité d’investissement …
Les utilisateurs, eux, ne savent pas quand ils reverront leurs cryptos, ni s’ils finiront un jour par les récupérer.
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Romaric Saint Aubert
Crypto-journaliste
