Code will not be law. Deux textes réglementaires importants pour le secteur crypto ont été adoptés le 10 octobre par le Parlement européen. Les deux réglements MiCA (“Markets in Crypto-Assets”) et TFR (“Transfer of Funds Regulation”) ont été définitivement adoptés. Sauf qu’ils ne concernent pas la finance décentralisée (DeFi). Exclue de ces textes, elle ne fait pas moins l’objet d’intenses réflexions, entre rapports et appels d’offres.
Un rapport pour éclairer l’UE sur la manière de réguler la finance décentralisée
Dans la finance décentralisée, il n’y a par définition aucune entité centrale qui agit comme intermédiaire entre les utilisateurs. Ce rôle est dévolu à des contrats intelligents (“smart contracts”). Mais cela ne signifie pas que certaines parties de l’écosystème DeFi sont hors de portée des régulateurs.
En la matière, l’UE semble puiser son inspiration auprès de ses homologues américains, et notamment la SEC. Celle-ci s’est montrée particulièrement active contre la DeFi depuis 2021 : une activité qui va de la simple enquête sur Uniswap et son fonctionnement, jusqu’à la sanction sur différents opérateurs de bourses d’échanges décentralisées (DEX) à l’image d’EtherDelta, accusés d’opérer comme des bourses de valeurs mobilières non enregistrées.
La Commission européenne s’est donc vue remettre un rapport sur les approches possibles pour superviser, surveiller et réguler la DeFi. Un rapport disponible sur le portail des publications de l’UE, produit par le Professeur Tarik Roukny de l’Université Catholique de Louvain. Lors d’un webinaire de présentation, un représentant du département de la finance numérique a déclaré :
“Ce rapport fait partie de notre ambition de mieux comprendre la DeFi, d’éclairer notre réflexion sur la manière de répondre à toute préoccupation concernant les conséquences potentielles sur les politiques publiques”
TradFi et DeFi : mêmes problèmes, différentes solutions
En soi, le rapport ne dévoile rien que nous ne savons pas déjà. Le principal élément réside dans le fait que les travaux d’analyse et de revue des différents travaux convergent pour reconnaître que :
“les politiques standard [sont] inadéquates pour le traitement des services DeFi”
Il est en effet important de se rappeler que les protocoles de DeFi sont des startups. Même les protocoles les plus anciens n’ont que quelques années à leur compteur, tandis que la majorité n’existe que depuis quelques mois.
En se penchant sur leurs modèles, on se rend bien vite compte que bien des règles appliquées à la finance traditionnelle se révèlent automatiquement caduques dans la plupart des cas.
Mais de quelles règles parle-t-on ? Pour résumer, il s’agit de la directive sur les instruments financiers (directive MiFID 2), mécanisme de garantie des dépôts (DGS), réglementation sur les fonds de détail (OPCVM), encadrement sur les abus de marché (directive MAD).
1 – Les bourses d’échanges décentralisées (DEX)
- Description : il s’agit de protocoles qui fonctionnent sur le modèle des bourses d’échanges réglementées pour exécuter des transactions à terme, au comptant ou perpétuelles.
- Exemples : Uniswap, Curve, Balancer, GMX, dYdX, PancakeSwap
- Fonctionnement : les DEX à terme au comptant et perpétuels génèrent leurs revenus à partir des frais de négociation. Bien que le taux des frais diffère selon l’échange, ces frais sont toujours répartis entre le protocole et les fournisseurs de liquidité du DEX. Et souvent le protocole choisit d’allouer une partie ( ou la totalité) de sa part aux détenteurs de jetons de gouvernance (ex : UNI pour Uniswap, CRV pour Curve).
Les règles traditionnelles sur les échanges de devises ou de matières premières ne s’appliquent définitivement pas aux échanges d’actifs numériques se font sans intermédiaire. Il s’agit au sens légal de simples échanges entre particuliers.
Le problème pourrait venir des tokens de gouvernance. Certains protocoles (tels que Uniswap et PancakeSwap) distribuent également des jetons de gouvernance aux fournisseurs de liquidité en plus des habituels jetons de liquidité. Rappelons que ces tokens sont généralement limités en nombre et qu’ils permettent aux détenteurs de voter sur des propositions de changement. Sur d’autres plates-formes telles que le protocole Mirror, les tokens peuvent également être stakés pour générer des intérêts.
Sur le fond, les tokens de gouvernance confèrent des droits de vote aux détenteurs et parfois un droit de partager une partie des frais de transactions et airdrop lorsqu’ils sont stakés. Des mécanismes qui ne sont pas sans rappeler les dividendes attachés aux actions de sociétés cotées ou les parts de fonds de placement et autres ETF …
2 – Lending
- Description : Il s’agit de protocoles qui facilitent les emprunts et les prêts sur-garantis ou sous-garantis.
- Exemples : Aave, Compound, Euler Finance, Maple Finance, TrueFi
- Fonctionnement : les marchés de prêts sur-garantis / sur-collatéralisés génèrent des revenus en prélevant une différence sur les intérêts versés aux prêteurs. Les marchés des prêts sous-garantis génèrent des revenus en facturant des frais de montage, certains prélevant également la différence sur les intérêts versés aux prêteurs.
Là encore, bien que les prêteurs mettent en commun leur crypto-actifs à des fins de prêt, ces actifs mutualisés ne sont pas gérés dans leur ensemble par une entité centralisée comme dans un fonds de placement. Les prêts DeFi sont exécutés sur une base de particulier à particulier : les prêts et les emprunts sont exécutés par des contrats intelligents dont le code est rendu disponible à qui le souhaite.
Ensuite, les crypto-actifs ne sont pas regroupés dans d’autres actifs émis (on dit “titrisés”) qui sont émis et négociables à nouveau sur les marchés crypto.
Et bien que les prêts de crypto-actifs ressemblent aux prêts sur les marchés financiers traditionnels (les prêts de titres dans le cas des ventes à découvert), il est peu probable qu’ils soient pris en compte comme des activités de prêts de titres. En effet, même les dispositifs de prêt de titres et d’effet de levier ne sont pas eux-mêmes considérés comme tels.
3 – Gestion d’actifs
- Description : cela fait référence aux protocoles qui exploitent des vaults (littéralement “coffres de génération de rendement”) ainsi qu’à ceux qui créent et maintiennent des produits structurés.
- Exemples : Yearn Finance, Badger DAO, Galleon DAO, Index Coop
- Fonctionnement : les gestionnaires d’actifs génèrent des revenus à partir des frais de gestion basés sur les actifs sous gestion, des commissions de performance et/ou des frais d’émission et de rachat pour les produits structurés.
Ici c’est plus compliqué, car il semble que les régulateurs traditionnels puissent avoir leur mot à dire sur les services. C’est le cas de Yearn Finance, dont le robot scanne continuellement la blockchain Ethereum : vu sous un certain angle, Yearn Finance est une plateforme d’auto-investissement, qui déplace des capitaux de ses utilisateurs entre les différents pools en cherchant à obtenir à tout moment le meilleur rendement possible.
4 – Staking
- Description : Il s’agit de protocoles qui émettent des dérivés de staking liquides (LSD).
- Exemples : Lido, Rocket Pool, StakeWise
- Fonctionnement : Les protocoles de staking liquides génèrent des revenus en prélevant une commission sur le total des récompenses de staking gagnées par les validateurs. Les récompenses de jalonnement sont composées d’émission, de frais de transaction et de MEV.
Le staking a assurément des similitudes avec un dépôt à terme dans une banque de détail. Là où un montant principal « jalonné » ne change pas, une somme d’intérêts variable est versée au déposant.
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Vous l’aurez compris, la régulation de la DeFi per se n’est pas pour demain. Pour tenter de pallier la portée limitée des règles financières actuelles, l’UE s’inspirera sûrement des méthodes au doigt mouillé de la SEC pour mettre de l’ordre dans la DeFi, qui continue d’affirmer que les lois sur les valeurs mobilières s’appliquent sur les opérations de DeFi, indépendamment de la décentralisation et du vernis technologique / blockchain.