Ces derniers mois, on a souvent reproché à la SEC américaine ses estocades répétées contre des acteurs de l’industrie crypto. Coinbase, Binance, Kraken … tous ont fait les frais des “actions de mise en application” ou “actions répressives” (enforcement, en anglais), sans véritable clarification réglementaire. Les raisons ? Tout simplement parce que la réglementation des cryptomonnaies reste un corpus naissant aux États-Unis, l’absence de directives claires laissant la porte ouverte à des scandales, dont le plus retentissant est l’affaire Sam Bankman-Fried /FTX.
La clarification réglementaire aux Etats-Unis : encore un long chemin à parcourir
Les États-Unis, dans leur quête de réglementation des cryptoactifs, semblent déterminés à être les suiveurs de l’Europe. En effet, c’est en reprenant des éléments du règlement européen MiCA que deux propositions législatives américaines ont passé la seconde – le Financial Innovation and Technology for the 21st Century Act (FIT Act) et le Responsible Financial Innovation Act (surnommé la loi Lummis-Gillibrand).
Ces textes, bien que distincts, partagent l’objectif de définir le périmètre d’action des deux régulateurs des marchés, la Securities and Exchange Commission (SEC) et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC). La clé de partage des responsabilités ? La nature des actifs numériques :
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- Le FIT Act propose une catégorisation basée sur la décentralisation des actifs, en confiant à la CFTC la régulation des actifs numériques qualifiés de marchandises numériques, tandis que la SEC continuerait de superviser les valeurs mobilières et les intermédiaires associés.
- Le Lummis-Gillibrand propose un cadre pour déterminer quels actifs numériques sont considérés comme des matières premières (commodities) et lesquels sont considérés comme des titres (securities). Le texte reconnaît que la plupart des actifs numériques sont beaucoup plus similaires aux matières premières qu’aux titres, et donne ainsi à la CFTC l’autorité claire sur ces marchés.
Or, entre étude du projet, votes, et débat public, il faudra pas moins de deux ans avant de voir ces deux textes à l’oeuvre.
La définition précise des actifs numériques et des réseaux décentralisés est un point d’achoppement crucial
Il ne vous aura pas échappé que la plupart des actions menées par la SEC contre les acteurs crypto a toujours reposé sur la requalification des actifs numériques en “titres financiers” :
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- Binance : selon le régulateur, le BNB aurait été vendu comme un titre financier aux investisseurs de la première heure (ICO) avec des promesses de rendement,
- Coinbase : selon le régulateur, la plateforme aurait opéré comme une bourse de financière clandestine depuis 2017, vendant des jetons (le SOL, l’ADA, le MATIC, et 9 autres) qui sont en réalité des titres financiers,
- Yuga Labs : le régulateur a un temps enquêté sur les NFT de la collection Bored Apes, qu’il considérait eux aussi comme des titres financiers,
Pour en finir avec ce point d’achoppement récurrent, le FIT Act introduit des dispositions intéressantes, et que l‘industrie crypto a favorablement accueillies.
Le FIT Act stipule en effet qu’un actif numérique est une représentation numérique fongible de valeur pouvant être transférée sans intermédiaire, et enregistrée sur un registre distribué sécurisé cryptographiquement. Elle écarte ainsi les tokens non fongibles (NFT) de cette définition.
Quant à la loi Lummis-Gillibrand, elle adopte une approche légèrement différente en définissant le cryptoactif comme un actif nativement électronique conférant des droits économiques, enregistré via une technologie de registre distribué sécurisée, sans lien avec un titre financier.
Reste la question des stablecoins, à l’image de l’USDC de Circle & Coinbase et du presque défunt BUSD de Binance. La loi Lummis-Gillibrand semble offrir un cadre réglementaire plus strict, similaire à celui du MiCA européen, avec des exigences précises pour les émetteurs. Il y a là un contraste avec le FIT Act qui reste vague sur ce sujet.
Le procès de Sam Bankman-Fried, un révélateur du vide réglementaire américain
Cette semaine, comme les cinq prochaines, le Web3 est resté suspendu aux révélations du procès de Sam Bankman-Fried (SBF). Mais au-delà de leur dimension pénale, les coulisses du scandale FTX/Alameda Research, et ses 10 milliards de dollars de dépôts clients perdus, renvoient davantage à l’urgence d’une réglementation claire pour le secteur crypto américain.
Dans une belle tribune publiée sur le média CoinDesk, Sheila Warren, patronne du Conseil Crypto pour l’Innovation (CCI), souligne que les actions d’une seule personne “ne devraient pas servir de baromètre pour l’industrie crypto”, mais les répercussions médiatiques et juridiques de telles affaires peuvent avoir un effet domino sur le secteur.
Les autres nations semblent avancer à grands pas dans la réglementation des cryptomonnaies. L’Union Européenne avec son réglement MiCA, le Royaume-Uni et le Japon évoluent vers des cadres réglementaires plus structurés, offrant des gages et certaines certitudes juridiques aux opérateurs de l’écosystème.
Ces avancées contrastent avec le flou réglementaire persistant aux États-Unis, où l’absence de directives claires laisse le champ libre à toutes les dérives.
Le procès de SBF, ainsi que le débat réglementaire en cours, mettent en exergue la nécessité pour les États-Unis d’accélérer le pas vers une réglementation claire et complète, afin de prévenir les risques d’un nouveau scandale et de promouvoir un environnement plus sûr et plus responsable pour l’industrie crypto.
Sources : CoinDesk
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