Un an après l’affaire FTX et à un an de la mise en place de la réglementation européenne MiCa sur les crytos, Faustine Fleuret, la présidente de l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan), réélue en juin dernier, fait le point sur les sujets d’actualité.
L’écosystème crypto français s’est-il remis de la chute de FTX, il y a tout juste un an?
Faire un diagnostic sur l’impact de la faillite de FTX sur l’ensemble de l’écosystème reste encore difficile. Il y a eu un impact commun à l’ensemble des acteurs, une crise de réputation et d’image, et cela quel que soit le type de professionnel. C’est l’ensemble du secteur qui subit la défiance du monde institutionnel et des utilisateurs. Cela a aussi apporté de l’eau au moulin d’un certain nombre de détracteurs qui n’étaient déjà pas convaincus.
Pourtant, l’adoption des cryptos en France progresse…
On note en effet une adoption croissante des cryptoactifs sur cette période. J’en veux pour preuve l’étude que nous avons publiée en avril dernier en partenariat avec KPMG et Ipsos, qui établit que 11% des Français détiennent des cryptos, contre 8% un an auparavant.
La chute de FTX a eu un impact délétère sur l’image du secteur, mais elle a eu aussi des conséquences réglementaires (création de l’enregistrement PSAN renforcé). L’écosystème de la DeFi a quant à lui été beaucoup plus résilient.
C’est cette même défiance qui conduit plusieurs de nos fleurons (Ledger, Coinhouse…) à réduire leurs effectifs ?
Le web3 évolue dans un contexte économique global qui n’épargne pas les acteurs de la tech en général. C’est difficile de dire que les licenciements viennent uniquement du manque de confiance dans l’écosystème. Il y a sans doute une conjonction de plusieurs éléments de conjoncture pas forcément positifs auxquels le secteur doit faire face aujourd’hui.
La Présidente de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a déclaré la semaine dernière que l’écosystème crypto devait encore “démontrer son utilité économique et sociale”. Comment avez-vous réagi à cette déclaration ?
Je ne suis malheureusement pas surprise dans le sens où ce n’est pas la première fois que la présidente de l’AMF adresse publiquement ce message qui peut être perçu par le secteur comme une forme de défiance de la part de son autorité de tutelle.
Je suis cependant davantage surprise que ce sort soit réservé aux cryptoactifs. D’autant plus que l’utilité économique et sociale des cryptoactifs se démontre un peu plus chaque jour, avec déjà 6 000 emplois créés juste en France et des solutions apportées à des problèmes qui n’en trouvaient pas jusqu’ici, telles que filtrage respectueux de la vie privée mais efficace pour filtrer les mineurs sur les sites réservés aux adultes, par exemple.
Comment démontrer cette utilité économique et sociale ?
Ce qu’on fait depuis toujours, c’est d’expliquer à quoi peuvent servir les cryptoactifs, au-delà d’être un outil d’investissement. Au Parlement français, des débats ont lieu sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN), dans lequel on parle justement de l’intérêt des cryptoactifs pour deux usages. Le premier, dans le cadre de la restriction d’accès aux mineurs des sites pornographiques, à travers des solutions web3 comme l’identité décentralisée qui respecte la vie privée des utilisateurs. L’utilité sociale est indéniable.
Autre exemple, il y a également un débat pour encadrer les nouveaux types de jeux vidéo basés sur des technologies web3 (Jonum), où les cryptoactifs sous forme de NFT sont utilisés pour apporter aux joueurs une expérience innovante.
Quelle est la position de l’Adan concernant la loi dite “Sorare” sur ces jeux à objets numériques monétisables (Jonum) ?
Nous sommes favorables à l’établissement de ce cadre. Auparavant, il y avait un flou dans lequel les acteurs évoluaient de façon inconfortable. Le risque existait d’une qualification de ces nouveaux types de jeux comme des jeux d’argent ou de hasard. Or, ces jeux d’argent sont interdits en France, sauf exceptions (casinos…).
Le risque, c’était l’interdiction des jeux web3, alors que ce ne sont pas les mêmes activités. Il fallait un cadre adapté, efficace, qui permette de lutter contre l’addiction, et contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Cet encadrement prend la forme d’un régime expérimental de trois ans. Ce qui était important pour nous car, quand on veut encadrer un secteur innovant, il faut garder une agilité et ne pas sur-réguler.
Les entreprises crypto françaises sont-elles prêtes pour l’application de la réglementation européenne MiCa ?
Cela dépend de qui on parle. La question des ressources financières associées à la mise en conformité sera clé. Se mettre en conformité avec MiCa va entraîner des coûts importants, donc des besoins en financement, en ressources humaines et en matériel.
La crainte que l’on peut avoir, c’est que dans le contexte évoqué précédemment, ce soit compliqué pour les plus jeunes acteurs. Les PSAN enregistrés et agréés (Société Générale – Forge, seule agréée à l’heure actuelle) seront mieux placés. Nous serons mobilisés en tant qu’association pour qu’un maximum d’acteurs soient prêts.
Nous serons aussi vigilants contre certaines mauvaises idées qui peuvent émerger des régulateurs. La semaine dernière par exemple, l’ESMA, l’autorité européenne des marchés financiers, a recommandé aux autorités nationales compétentes de réduire la période de tolérance pour les PSAN déjà autorisés, de 18 mois à 12 mois. C’est une très mauvaise idée, car les autorités ne sont pas prêtes au flux entrant conséquent de candidatures qui est attendu.
Le départ soudain de Stéphanie Cabossioras à la tête de Binance France aura-t-il un impact sur la gouvernance de l’Adan ?
Elle était représentante titulaire de Binance au conseil d’administration de l’Adan. Le seul impact, c’est le changement de représentant au sein du conseil d’administration pour Binance. Ce sera un changement d’interlocuteur, mais certainement pas d’orientation pour l’Association, dont la stratégie a été actée en début d’année par les membres.
Faut-il s’inquiéter de son départ quand on connaît le contexte dans lequel évolue Binance depuis plusieurs mois ?
L’Association représente le secteur dans son ensemble et n’a pas vocation à commenter l’actualité de ses membres individuellement.
Quels sont les chantiers de l’Adan pour 2024 ?
Nous sommes en train d’établir les feuilles de route de nos cinq comités (PSAN, DeFi, NFT, juridique et tokenisation). Nos deux grandes ambitions qui les gouvernent sont l’européanisation et la diversification.
Pour la première, nous avons accueilli ce matin notre nouvelle recrue, qui est “EU Policy Officer” et qui sera établie à Bruxelles pour mener les affaires européennes de l’association à travers un bureau de représentation. Ce qui est une très bonne nouvelle.
Et pour la deuxième ?
Pour la deuxième, nous représentons beaucoup d’autres usages que les usages financiers, avec des membres comme PMU, Sorare ou Casino. Nous portons la voix de très jeunes pousses, et des grands groupes qui ne sont pas web3 natifs. Notre objectif est donc d’élargir le spectre des sujets traités, parce qu’en réalité outre MiCa il y a beaucoup d’autres chantiers (métavers, les passeports sous forme de NFT…).
D’autant que l’actualité européenne sera très riche en 2024, avec les élections et le renouvellement de la Commission européenne. Nous devons rester connectés pour que les prochaines feuilles de route des institutions européennes permettent d’aider au développement du web3 en Europe.
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