
La guerre fait rage dans le monde des NFT, ces jetons numériques qui sont devenus le symbole d’une nouvelle révolution culturelle et économique. Deux plateformes se disputent la suprématie du marché : OpenSea, le leader historique, et Blur, le challenger audacieux. Blur et OpenSea se disputent la mainmise sur un marché juteux : sur les sept derniers jours, les collectionneurs ont échangé pour 85,21 millions de dollars (44 872 ETH) de NFT rien que dans l’écosystème Ethereum. Et même si les prix sont loin de leurs plus hauts de 2021, le sentiment est de nouveau haussier, porté par la belle passe des cryptomonnaies depuis le début d’année.
1 – Opensea, la plateforme qui a su faire rêver les collectionneurs de NFT
Dans l’univers des NFT Ethereum, OpenSea incarne l’ordre établi, la tradition, la sécurité. C’est la plateforme qui a popularisé les NFT auprès du grand public. C’est grâce à elle que de nombreux artistes se sont fait connaître et ont pu vivre de leur travail en recevant des redevances sur chaque revente de leurs œuvres. C’est la plateforme qui bénéficie du soutien des institutions, des médias, des célébrités.
Opensea a été la première plateforme à vendre un NFT pour plus de 20 millions de dollars. Il s’agit du CryptoPunk #5822, un pixel art représentant un singe avec une casquette et des lunettes de soleil, vendu en février 2022 pour 8000 ETH à l’homme d’affaires Deepak Thapliyal.
C’est aussi OpenSea que le Centre Pompidou a choisi pour conserver ses NFT. Et pas n’importe lesquels, puisqu’il s’agit des tout premiers NFT acquis par une institution dédiée à l’art moderne et contemporain. Tout un symbole.
Par son aura et ses qualités, Opensea occupe logiquement la place de leader sur le marché des NFT. Ses débuts modestes remontent à 2018, à une époque où les NFT parlent encore à un public geek, averti, confidentiel. Devin Finzer et Alex Atallah, installés à New York, veulent proposer une place de marché décentralisée pour ces jetons non fongibles (NFT).
Ils ont l’idée de créer une plateforme qui permettrait aux utilisateurs de découvrir, acheter et vendre des NFT de toutes sortes, sans se limiter à une seule catégorie ou à un seul projet. Œuvre d’art, jeux, objets de collection, musiques, vidéos, … une grande diversité de NFT sont à l’honneur, servis par une interface conviviale et accessible.
2 – Blur, le challenger qui bouscule les codes
Face à OpenSea, Blur incarne pour beaucoup le désordre nouveau, l’innovation, le risque. C’est la plateforme qui bouscule les codes du marché des NFT, qui propose aux utilisateurs de choisir s’ils veulent payer ou non des redevances aux artistes.
C’est la plateforme qui défie les règles du marché, qui applique 0 frais de plateforme et qui récompense ses utilisateurs avec son jeton natif, le BLUR. C’est la plateforme qui bénéficie du soutien des communautés, des rebelles, des visionnaires.
À ses débuts en octobre 2022, Blur était ce qu’on appelle un agrégateur. Pour faire simple, un service qui permettait d’acheter plusieurs NFT de différentes collections au prix le plus bas.
Cette approche est souvent appelée “sweeping”, et elle est très prisée des traders professionnels. Une manière pour de profiter des opportunités du marché des NFT, en accédant à des collections variées et en optimisant ses coûts de transaction.
Les choses ont évolué : Blur s’est progressivement muée en une plateforme de marché à part entière, en proposant ses propres collections de NFT et en offrant des outils avancés pour les créateurs et les collectionneurs. Blur a également lancé son jeton natif, le BLUR, qui permet aux utilisateurs de participer à la gouvernance et à la prise de décision de la plateforme.

3 – Le nerf de la guerre : les redevances aux créateurs
Le modèle de Blur repose sur l’hypothèse que les traders de NFT sont plus sensibles au prix qu’à la qualité ou à l’éthique. On peut ne pas être d’accord avec cette vision de Tieshun Roquerre, le fondateur de Blur longtemps resté anonyme.
Quoiqu’il en soit, Blur a compris qu’il pouvait grignoter des parts de marché à OpenSea en séduisant d’abord le segment d’utilisateurs le plus attentif aux prix. Il a visé une niche de traders NFT spéculatifs en leur offrant un marché sans contraintes, avec des redevances optionnelles et 0 frais de négociation.
Optionnelles, qu’est-ce que cela signifie ? Pour faire simple, les traders peuvent choisir de payer ou non la redevance due au créateur du NFT. Blur impose seulement un minimum de 0,5% en redevance pour chaque transaction, mais les traders peuvent payer plus s’ils le souhaitent … Blur se montre toutefois généreux en versant des tokens BLUR aux traders qui acceptent de payer les royalties.
Blur n’était pas la première à adopter une telle stratégie. Avant elle, Sudoswap et Magic Eden l’ont déjà tentée, avec plus ou moins de succès. Elle a adopté cette politique pour attirer les traders qui cherchent à maximiser leurs profits en rognant autant que possible les frais.
Cependant cette politique a rapidement suscité la colère des créateurs de NFT, qui se sentent très justement dépossédés de leurs droits d’auteur. Certains créateurs ont donc décidé de bloquer leurs NFT, afin qu’ils ne soient plus négociables sur Blur (et d’autres plateformes qui ne respectent pas les royalties).
4 – Les créateurs, principales victimes de la guerre des marketplaces ?
Pour les créateurs à succès, les redevances sont devenues une incroyable manne d’argent au plus fort de la folie NFT de 2021. Rendez-vous compte : la collection des “Bored Ape Yacht Club” a généré plus de 1,3 milliard de dollars de ventes sur OpenSea depuis son lancement en avril 2021.
Avec une redevance de 2,5 % sur chaque vente, Yuga Labs a empoché plus de 32 millions de dollars en redevances NFT !
Les redevances NFT sont nées à une époque où l’art NFT était principalement composé d’œuvres uniques et originales, qui étaient vendues à des collectionneurs passionnés et respectueux des créateurs. Ces collectionneurs n’étaient pas gênés de payer un pourcentage de redevance aux créateurs à chaque revente de leurs NFT, qui était fixé par des marketplaces comme OpenSea.
Le commerce de dégénérescence, c’est-à-dire le fait d’acheter et de vendre des NFT de manière spéculative et rapide, était moins fréquent et moins rentable à cette époque.
Les choses ont changé lorsque le marché NFT est devenu plus spéculatif en 2021. Lorsque les collections à 10 000 exemplaires sont devenues la tendance dominante, les redevances NFT étaient perçues comme un obstacle à la liquidité et aux profits.
Ainsi lorsque le marché NFT s’est refroidi, les conditions de marché illiquides ont permis à des marketplaces NFT émergentes comme Sudoswap et Magic Eden de se différencier en proposant une politique 0 redevances.
Alertées par les créateurs, plusieurs plateformes d’analyse se sont alors intéressées aux statistiques. Et l’essentiel de leurs travaux a mis en évidence une baisse drastique de ce qu’on appelle le “taux de redevance effectif”.
5 – Coup pour coup : airdrops, redevance forcée, partenariats, …
Opensea et Blur déploient des trésors d’ingéniosité pour prendre l’avantage sur l’autre et fidéliser leurs utilisateurs.
Les airdrops. Blur a lancé son jeton natif, le BLUR, en février 2023, et l’a distribué gratuitement à ses utilisateurs en fonction de leur activité sur la plateforme. Cet airdrop a permis à Blur de récompenser ses utilisateurs et ses créateurs, de les inciter à créer du volume artificiel, et de les impliquer dans la gouvernance de la plateforme. Opensea n’a pas encore lancé son jeton natif, mais il est très attendu par la communauté. Sur les forums et Twitter, quelques indiscrétions disent qu’Opensea pourrait dévoiler son SEA ce mois-ci.
Les outils de redevance forcée. Opensea a créé un outil qui permet aux artistes de fixer une “redevance totale” sur leurs NFT, ce qui signifie qu’ils touchent une commission à chaque revente, quelle que soit la plateforme. Cet outil empêcherait les collections NFT d’être échangées sur Blur, protégeant leurs revenus. Blur n’a pas encore réagi à cet outil, mais il pourrait proposer une solution alternative pour contourner cette restriction.
Les prêts de NFT. Blur a lancé Blend pour offrir une nouvelle façon d’utiliser les NFT comme collatéral pour emprunter des fonds en ETH. Blend est un protocole de prêt perpétuel pair-à-pair qui met en relation les emprunteurs et les prêteurs de NFT. OpenSea propose aussi des fonctionnalités de prêt et d’emprunt de NFT via des partenariats avec des protocoles comme Aavegotchi ou NFTfi. Cependant, OpenSea n’a pas encore lancé son propre protocole de prêt perpétuel pour les NFT.
Conclusion
La guerre entre Opensea et Blur est loin d’être terminée. On se demande même si le modèle de Blur tiendra dans la durée, une fois que le marché sera de nouveau clairement haussier 🤔. C’est une question intéressante, qui n’a pour l’heure pas de réponse tranchée.
Ce qui est sûr, c’est que le combat Blur vs OpenSea fait des émules. Dans l’écosystème Solana par exemple, la marketplace Tensor (surnommée le “Blur de Solana”) est en train de dépasser Magic Eden, longtemps leader, avec les mêmes procédés agressifs.
Ce qui est sûr également, c’est que les grandes marques, les griffes du luxe et les créateurs n’apprécient pas particulièrement Blur. On peut comprendre leur réticence à voir leurs NFT vendus sur des plateformes qui ne respectent pas leurs royalties ou qui ne garantissent pas l’authenticité de leurs œuvres.
Par exemple, les “Sewer Pass” de Yuga Labs (le studio à l’origine des Bored Ape Yacht Club) ne pouvaient pas être négociés sur Blur en janvier, lors de leur lancement. Les Sewer Pass sont des NFT qui donnent accès à une collection exclusive de 10 000 NFT appelés Sewer Rats.
Yuga Labs a décidé de bloquer l’accès à ses NFT sur Blur et sur d’autres plateformes qui ne respectent pas les royalties des créateurs, comme SudoSwap, LooksRare ou NFTX.
Le studio américain a expliqué que son objectif était de protéger les droits et les revenus des marques qui s’associent à leurs collections, quitte à mettre les barbelés contre “les plateformes qui ne partagent pas leur vision”. Ça a le mérite d’être clair.

Sources : Dune Analytics (@beetle), Cryptonews, The Information
Sur le même sujet :
- Dans sa bataille avec Blur, OpenSea lance une marketplace NFT avancée
- OpenSea tente de contrer Blur en testant un nouveau modèle de frais